Un de mes patients réfugié qui a une pathologie liée à des violences subies dans son pays s’est vu refuser, par la préfecture, la possibilité d’accès à un dossier pour que soit examiné son droit au statut d’étranger malade. Après avoir sollicité en vain la préfecture, la DDASS et le Conseil de l’Ordre, en avril 2007, j’ai adressé à une cinquantaine de mes confrères, sous le couvert du secret médical, et, bien sûr, avec l’accord de mon patient, un compte rendu clinique de façon à organiser, par une pétition, une pression sur les services de la préfecture. Le Conseil départemental de l’Ordre des médecins a porté plainte pour violation du secret médical. Le 8 juillet 2008, la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins me reconnait « le droit de soigner et d’aider ces personnes réfugiées à faire aboutir leur dossier en vue de faire constater que leur état de santé justifiait l’attribution d’un titre de séjour », ainsi que celui de « sensibiliser auprès de l’administration, de la presse et des autorités ordinales, et des confrères de la situation particulière de ces réfugiés », mais elle confirme la sanction du blâme à mon égard, ce qui n’a pas d’incidence pour l’exercice de ma profession, sinon de m’exclure du Conseil départemental de l’Ordre où j’ai été élu le 6 avril 2008. Notons que la Chambre Disciplinaire reconnait le droit de soigner, d’aider, et de communiquer, mais fait silence sur le devoir de soigner qui est pourtant une obligation.

De façon à ne pas modifier la jurisprudence, la décision de la Chambre Disciplinaire autorise les médecins à laisser les préfectures nier les droits aux soins des étrangers. Pour ne pas être sanctionné, j’aurai dû laisser les services de la préfecture de la Dordogne expulser mon patient dans son pays qui l’a torturé, et où il aurait connu un isolement stigmatisant, une dégradation importante de ses capacités de vie, et un grave risque vital.

Pour avoir voulu et obtenu pour mon patient la reconnaissance de ses besoins de soins et de protection, de façon à assurer les conditions d’une vie à reconstruire, je suis sanctionné. Il faut bien que ce soit pour une personne étrangère qu’un médecin soit sanctionné pour avoir, avec les moyens qui s’imposaient, obtenu le respect des soins et de la dignité de son patient. Je prends acte de ce jugement qui réactualise la valeur éthique des actions de résistance, qui en indique les nécessités, et qui apporte malheureusement une nouvelle preuve de l’évolution xénophobe et ethnocentriste des mentalités et des pouvoirs, y compris des pouvoirs médicaux.

Je redis, et aucune autorité médicale ou administrative ne m’a contredit, que, pour le cas de mon patient, je n’avais pas d’autre choix pour protéger ses droits et sa dignité que de demander l’appui éclairé de mes confrères.

L’alliance du Conseil départemental de l’Ordre des médecins avec la politique actuelle d’injustice et de discrimination s’avère possible par la tendance conservatrice et autoritariste de l’idéologie médicale quand elle néglige le travail de la pensée. Ayant été élu au Conseil départemental de l’Ordre des médecins, la sanction me démet de ce mandat. Je ne pourrai plus m’opposer à son fonctionnement non démocratique qui organise la servitude volontaire, en déclarant hors jeu les débats qui le dérangent.

Je remercie les militants de RESF, de la LDH Périgueux, et du Collectif Départemental Unitaire anti-délation qui, avec le plus grand respect envers le secret médical et la dignité des sujets soutiennent et luttent pour obtenir les reconnaissances des troubles psychiques des demandeurs d’asile qui ont subi des violences dans leurs pays. Je remercie les 226 médecins du département qui ont voté pour moi, et m’on élu au Conseil départemental de l’Ordre pour y défendre le droit aux soins des patients vulnérables. Je remercie les centaines de médecins et les milliers de sympathisants qui ont signé les pétitions de soutien proposées. Je remercie les multiples responsables d’associations du secteur médico-social ou sanitaire, et l’ensemble de mes collègues pour leurs témoignages de reconnaissance.

Avec les associations, les confrères et collègues qui sont engagés dans les actions d’accueil et de soins pour les victimes de torture et de violence politique, en France et à l’étranger, et qui me soutiennent, je sais les obstacles politiques et le prix à payer pour pouvoir apporter des soins aux étrangers souffrants, étrangers qu’ici, le Conseil départemental de l’Ordre veut nommer, selon la référence du Ministre des Expulsions « des étrangers en situation irrégulière » et non des « sans papiers ».

Le droit aux soins est un droit naturel, c’est-à-dire inaliénable, représentant une valeur éminente et qui demeura irréductiblement. Je ne quitterai pas la pratique des soins psychiques, et je continuerai à m’opposer à toutes discriminations, et de façon engagée s’il le faut. Ma détermination à veiller aux soins et aux conditions de soins pour les patients démunis, et notamment les sans papiers, n’est pas ici de l’obstination caractérielle mais est la fidélité due à la vocation médicale, aux droits de l’homme et à l’éthique. L’action que j’ai entreprise ne pouvant se répéter, les nécessités de défense des droits aux soins et à la protection se feront en coordination avec les associations de défense des droits des étrangers, et avec le Comité d’Action pour les Soins et la Protection des Etrangers Réfugiés qui s’est déjà constitué par un groupe de vingt médecins du département.