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Un article inédit de Maurice Lemoine août 2000

Plan Colombie, passeport pour la guerre

 

http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/ameriquelatine/plancolombie

POR  MAURICE LEMOINE

 

 

Tout semblait avoir parfaitement commencé. Alors que le président conservateur César Gaviria (1990-1994) avait décrété la guerre intégrale contre les « chiens enragés » de la guérilla et réveillé les secteurs les plus militaristes de la société colombienne ; alors que le libéral Ernesto Samper (1994-1998), déstabilisé par les Etats-Unis (1), avait dû baisser pavillon et jeter à la poubelle sa « politique de paix intégrale et de dialogue », le nouveau président conservateur, M. Andrés Pastrana, élu le 20 juin 1998, renouait aussitôt le fil avec l'opposition armée. En accordant aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) une zone démilitarisée (7 novembre 1998) de 42 000 kilomètres carrés, il permettait la reprise de négociations depuis longtemps au point mort.

Adepte des réformes structurelles et de l'orthodoxie financière, M. Pastrana ne pouvait que séduire Washington. Les relations bilatérales se normalisant, il reçoit d'emblée 280 millions de dollars d'aide nouvelle pour l'effort anti-drogue et le développement. Au plan intérieur, la Loi 508 du 29 juillet 1999 formalise un Plan national de développement - « Changement pour construire la paix, 1999-2002 » -, approuvé par le Parlement (la Constitution colombienne établit que chaque gouvernement doit élaborer un tel Plan national de développement). Cependant, le 21 septembre 1999 à Washington, au terme d'un entretien avec le président William Clinton et sans que le Congrès colombien n'ait été en rien consulté, M. Pastrana remplace ce Plan de développement par un " Plan pour la paix, la prospérité et le renforcement de l'Etat ", dit Plan Colombie. Il ne sera divulgué au pays que le 2 janvier 2000, par le quotidien El Espectador.

 

Conçu et rédigé en anglais avec la participation, sinon sous la direction, de conseillers du Département d'Etat des Etats-Unis, ce plan de 46 pages détaille un programme qui coûtera 7 500 millions de dollars, dont 3 500 millions de dollars en aide extérieure. Dans un projet de Loi S 1758, présenté par les sénateurs Dewine, Grassley et Coverdell, et qui va prendre le nom d'Alianza Act, l'administration américaine propose 1 600 millions de dollars, dont 954 millions de dollars comme supplément d'urgence pour l'an 2000. L'objet est ambitieux. Il ne présente qu'un défaut, mais de taille. Alors que tous les yeux sont tournés vers des négociations de paix dont on sait qu'elles seront longues et difficiles, il n'a pour objectif que de renforcer, équiper et entraîner l'armée colombienne ; il joue délibérément la guerre, niant la nature sociale et politique du conflit. En la matière, on se contentera de rappeler que les 25% les plus riches de la population ont des revenus 30 fois plus élevés que les 25% les plus pauvres et que 80% des 13 millions de personnes abandonnées par l'Etat dans les campagnes vivent en dessous du seuil de pauvreté.

La pression du corps militaire

L'histoire dira si le président Pastrana est l'otage, le complice ou l'instigateur du désastre qui s'annonce. Ce qui est sûr, c'est qu'il est soumis à une forte pression. Pression de l'armée colombienne, en tout premier lieu. Acculé, son prédécesseur Ernesto Samper avait dû accorder des faveurs à cette dernière pour s'assurer de sa neutralité durant la crise qui l'opposait à Washington. Sans grand résultat, d'ailleurs, sur le terrain. Souvent bousculée, l'armée a accumulé les défaites depuis le 30 août 1996, jour où les FARC, attaquant la base de Las Delicias (Caquetá), captura 60 soldats et en tua 27 autres. D'autres humiliations suivront, dont, en mars 1998, le quasi-anéantissement d'un bataillon professionnel de contre-insurrection, toujours dans le Caquetá. A tel point que, le 12 août 1999, M. Pastrana promulgue un nouveau code militaire permettant de destituer les officiers de haut rang par trop inefficaces dans la lutte contre les guérillas - et (en théorie) les paramilitaires.

Malgré ces piètres prestations, et adossé tant aux latifundistes et à l'oligarchie traditionnelle qu'aux secteurs qui administrent et monopolisent le capital financier, le haut commandement militaire n'hésite pas, en plusieurs occasions, à engager une épreuve de force avec les pouvoirs constitués. Le 26 mai 1999, appuyé par 18 généraux et 200 officiers, le ministre de la Défense Rodrigo Loreda démissionne. Il reproche au président d'être trop conciliant à l'égard des FARC. Au terme de ce coup de semonce, M. Pastrana, tout en acceptant la démission de M. Lloreda, fait des concessions. Il annonce que le despeje (démilitarisation) ne sera pas indéfini. Cela n'empêche pas les généraux Fernando Tapias, commandant en chef des forces militaires, et Jorge Enrique Mora, commandant de l'armée, de présenter à leur tour leur démission le 19 novembre suivant, à peu près pour les mêmes raisons. Cette démission est refusée, mais l'épisode fait trembler une première fois le siège du Haut-commissaire pour la paix, M. Victor G. Ricardo (2).

Poursuivant cette entreprise de déstabilisation, le général Nestor Ramírez prend bientôt le relais. Commandant en second et chef d'état-major de l'armée, cet officier dont certains n'hésitent pas à comparer la trajectoire fulgurante à celle du général panaméen Manuel Antonio Noriega (liens avec la CIA compris), intervient dans les salons de l'hôtel Bilmore de Miami, le 2 décembre 1999. Invité par l'organisation d'extrême-droite Tradition, famille et propriété, et par la Fondation nationale cubano-américaine (FNCA), il affirme que la Procuraduría (responsable des mesures disciplinaires contre les fonctionnaires publics), la Fiscalía (ministère public) et la Defensoría del pueblo (organe de contrôle rattaché au ministère public) sont infiltrées par la subversion. Raison de cette attaque frontale, la mise en jugement de dizaines de soldats, y compris 4 généraux, pour négligence ou pire, complicité, dans des massacres commis par les paramilitaires.

Pression de Washington

Depuis le début des années 90, les Etats-Unis avaient réduit leur aide à l'armée colombienne en raison de ses abus en matière de droits de l'homme. Pour persuader le Congrès de voter une augmentation de l'aide militaire, l'administration Clinton a poussé Bogota à agir sur ce terrain délicat. C'est ainsi qu'en juillet 1997, le général Harold Bedoya, commandant en chef de l'armée, fut relevé de ses fonctions pour avoir trop manifestement couvert les agissements criminels de ses subordonnés. La XXe Brigade de renseignements militaires a dû être dissoute en raison de son implication par trop visible avec le paramilitarisme. Plus récemment (avril 1999), le gouvernement a forcé à la démission les généraux Rito Alejo del Rio et Fernando Millan, notoirement liés aux paracos (les paramilitaires). Il y aurait cependant encore beaucoup à faire pour extirper le cancer. Dans son dernier rapport au Congrès, le Défenseur du peuple confirme que « les groupes paramilitaires sont devenus le bras illégal de la force publique ; ils exécutent pour son compte le sale travail que son caractère d'autorité assujettie à la loi l'empêche de faire »( Rapport de la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, 9 mars 1998 ). De son côté, le 23 février dernier, un rapport de Human Rights Watch affirmait que la moitié des Brigades de l'armée ont des liens avec les paramilitaires, en particulier et directement, la 3e, la 4e et la 13e (3). C'est pourtant le moment - M. Pastrana ayant été soigneusement travaillé au corps par la hiérarchie militaire - que choisissent les Etats-Unis pour apporter, à travers le Plan Colombie, un soutien massif à l'armée .

Car c'est aussi de Washington que provient la pression. Si quelques secteurs du gouvernement Clinton voient initialement d'un bon œil le dialogue Pastrana-FARC, ce n'est le cas ni des faucons du Congrès, ni du département de la Défense, ni du Southern Command (Commandement sud de l'armée des Etats-Unis). En Avril 1999, la Heritage Foundation, proche du Parti républicain (majoritaire au Congrès), affirme que les tentatives de paix de M. Pastrana supposent une reddition de l'Etat colombien devant les FARC et l'Armée de libération nationale (ELN) (4). En juin, présidant une audience de la Commission des relations internationales du Sénat américain sur le conflit colombien, M. Paul Coverdale ne dit pas autre chose : " Nous sommes en présence d'une balkanisation de la Colombie. Le président Pastrana continue à faire des concessions tandis que les guérillas augmentent leurs efforts pour (...) provoquer une instabilité qui, maintenant, menace également les pays voisins ". En un mot, cul et chemise avec les officiers supérieurs colombiens en activité ou en retraite qui font le va-et-vient entre Bogotá et Washington, les Républicains réclament, tant à la Maison Blanche qu'au gouvernement Pastrana, une politique plus énergique face à la guérilla. Reste à trouver le prétexte qui maquillera les véritables objectifs de la future intervention : conserver le contrôle de cette région vitale du nord-est du continent (Colombie, Venezuela, Equateur), riche en ressources stratégiques, le pétrole en particulier. L'argument ne tarde pas. Pour le Pentagone, la principale menace qui pèse sur l'hémisphère n'est plus Cuba, mais la possibilité que surgisse un " narco-Etat colombien ".

Le « prétexte » de la drogue

La culture de coca a plus que doublé en Colombie, passant de 50 000 hectares en 1995 à 100 000 en 1998 et sans doute 120 000 hectares en 1999 ; la culture du pavot y est passée de zéro à 6 000 ha. Soixante cinq mille familles sont impliquées directement dans cette activité, 500 000 personnes indirectement. Plusieurs raisons expliquent cette augmentation spectaculaire des cultures illicites. D'une part, l'ouverture économique a laminé l'agriculture et ruiné les campagnes (depuis 1974, la surface cultivée a diminué de plus d'un million d'hectares - la guerre ne suffisant pas à tout expliquer). Un seul exemple : autosuffisante en 1990, la Colombie importe actuellement 450 000 tonnes de riz... D'autre part, les propriétaires d'exploitations de plus de 500 hectares - 0,2% des propriétaires - possédaient en 1997 45% de la terre. Enfin, les « succès » obtenus dans la lutte anti-drogue en Bolivie et au Pérou (5) ont provoqué un redéploiement des cultures vers la Colombie, en particulier dans le sud (Putumayo et Caquetá), traditionnellement dominé territorialement par les FARC. Protégeant les paysans dont la production de la " plante criminelle " constitue l'unique possibilité réelle de survie, les FARC perçoivent un impôt tant sur la coca que sur la pâte base, pratique publiquement assumée dans le cadre d'une économie de guerre et qui ne fait pas de cette guérilla une « mafia  (6).

C'est le 18 août 1999 que, pour la première fois, le président William Clinton a tenu une réunion entièrement consacrée à la situation colombienne, en compagnie de MM. Sandy Berger, membre du Conseil national de sécurité, et Thomas Pickering, sous-secrétaire d'Etat. Dans une logique de guerre froide, un Groupe de travail est alors créé avec des fonctionnaires ayant fait leurs preuves dans les conflits centraméricains. Au nom de la guerre sainte contre la coca, le Plan Colombie est élaboré. Il prévoit une guerre de six ans, en trois étapes stratégiques, commençant dans le Putumayo.

Avant même que ce plan n'ait été rendu public, un premier bataillon antinarcotique - 1 000 hommes - entraîné pendant huit mois par 65 Bérets verts US dans la base militaire de Tolemaida, avait été remis au président Pastrana le 6 septembre 1999. Fer de lance de la nouvelle stratégie contre-insurrectionnelle, il précède alors l'inauguration (9 décembre 1999) d'une Force de déploiement rapide, unité moderne de lutte antisubversive (trois brigades mobiles et une des Forces spéciales), dotées d'hélicoptères russes, et Black Hawk américains. Le 21 décembre, nouvelle inauguration : celle de la Centrale de renseignement commune du Sud, sur la base militaire de Tres Esquinas. Financés cette fois par le Plan Colombie et dirigés par des conseillers américains, deux autres bataillons anti-narcotiques sont prévus. Comme leur homologue déjà opérationnel, leur tâche sera de " combattre les groupes armés qui protègent les structures du narcotrafic ". En fait : reprendre les territoires contrôlés par la guérilla.

Depuis 1998, une directive américaine autorisait les personnels américains à partager avec la Colombie des renseignements sur les capacités de la guérilla uniquement s'ils étaient directement liés à la lutte antinarco. En juin 1999, a été rédigée une nouvelle directive qui autorise ce même personnel à partager ses informations, même si elles ne sont pas liées au narcotrafic, sous le prétexte que la ligne qui sépare les deux est totalement gommée.

Le poids des paramilitaires

Lorsque le tsar anti-drogue américain, le général Barry Mc Caffrey, déclare, " ces groupes armés illégaux [qui alimentent la violence, la délinquance et le long conflit interne de la Colombie] ont une présence dominante sur environ la moitié du territoire national colombien et sont les responsables de plus de 90% des violations des droits humains ", il omet une précision. En matière de violations des droits humains, les paramilitaires, et de loin, sont les principaux accusés : 73% des atrocités leur sont attribuées - 16,67% pour la guérilla en 1999 (7). Lorsque le général Jorge Enrique Mora, commandant de l'armée déclare pour sa part qu'en attaquant les cultures illicites, un dur coup sera porté aux FARC - « Nous aspirons à leur enlever les finances et ainsi nous gagnerons 80 % de la guerre »- il jette, lui, un silence pudique sur quelques faits pourtant notoirement connus. C'est bel et bien chez les paramilitaires, et non dans une zone de guérilla, qu'a été démantelé, le 10 août 1997, un complexe de quatre laboratoires très sophistiqués et qu'ont été détruits près de 700 kilogrammes de cocaïne à Puerto Libre (Cundinamarca). Qui peut ignorer qu'aujourd'hui les ports de Turbo, Necoclí, Arboletes, Puerto Escondido, Moñitos, San Bernardo del Viento, Capurgana (sur la côte atlantique), Jurado et Bahia Solano (sur le Pacifique nord), d'où sont exportés 60% de la production de drogue colombienne, sont situés dans des zones sous forte influence paramilitaire ? Que c'est également par ces ports, entre autres, que rentre la contrebande des produits industriels, façon efficace de laver l'argent de la drogue ? Que c'est l'alliance de M. Carlos Castaño, leader des paramilitaires, avec le narcotrafiquant Orlando Henao, qui facilite l'extension des paracos, déjà présents dans tout le nord-ouest du pays, vers le littoral pacifique, de la frontière du Panamá jusqu'à celle de l'Equateur (8) ? L'escalade de la guerre ne cherche pas plus à neutraliser ces mafieux notoires que l'élite qui domine le trafic (environ 6 000 personnes d'après la sénatrice Piedad Cordoba, citant l'ex-analyste de la CIA Sidney Zabludoff).

Sans que l'on ait jamais entendu ni Bogotá ni Washington s'en émouvoir, M. Carlos Castaño avoue sans détour qu'il finance son mouvement en percevant un impôt de 60% sur les gains des cocaleros  (9) (il se montre plus discret sur les apports des acteurs économiques et financiers de l'establecimiento - l'establishment). Dans la zone de Catatumbo, il se déplace dans un hélicoptère qui n'est jamais détecté ni par les avions de la Force aérienne colombienne ni par les radars gringos. D'ailleurs, contrairement aux FARC et à l'ELN, les paramilitaires colombiens ne figurent pas sur la liste des organisations terroristes internationales dressée par le gouvernement des Etats-Unis. M. Phil Chicola, chef du Bureau des affaires andines du Département d'Etat, s'en explique : « D'après la loi, ces groupes doivent commettre des actions qui menacent les intérêts nationaux des Etats-Unis pour pouvoir être inclus formellement dans la liste  (10) ».

Le cœur de cible du Plan Colombie est donc clairement défini : la « guérilla » (11). Et au cas où aurait pu demeurer un doute, la fiction selon laquelle l'aide ne peut et ne pourra être affectée qu'à la lutte contre les narcos a volé en éclat en juillet dernier. Le 14 de ce mois, les FARC attaquaient en effet le poste de police de Roncesvalles (Tolima). Après 27 heures de combat et 13 policiers tués, le pueblo fut pris par les insurgés. Trois hélicoptères Black Hawk de la police (la police colombienne est la seule au monde à posséder ce type d'appareils, dans le cadre de la lutte antinarcotique) se trouvaient à Neiva, à 20 minutes de vol du lieu des opérations et n'intervinrent pas pour dégager les policiers assiégés - semble-t-il sur instruction de l'ambassade américaine à Bogotá. Tant en Colombie qu'au Congrès des Etats-Unis une polémique éclata dans les heures qui suivirent, au terme de laquelle le sous-secrétaire du département d'Etat pour les affaires andines, M. Phillip Chicola, confirma ce que chacun pressentait : « Les Black Hawk peuvent être utilisés par la Force publique colombienne comme elle le veut, quand elle le veut et où elle le veut ». Les appareils pourront désormais être appelés lorsqu'il y aura « un risque imminent de pertes de vies humaines » et pour les « opérations humanitaires » (!) y afférant.

Effets pervers

Les conséquences de l'" Expédition Sud " qui se prépare sont d'ores et déjà prévisibles. Elle jettera une partie des paysans de cette région appauvrie, transformés en parias criminels, dans les bras des FARC qui ainsi se renforceront, et ne fera que déplacer les cultures illégales. L'annonce des fumigations à venir en Colombie a déjà provoqué une augmentation du prix de la pâte base au Pérou, mettant définitivement en péril la compétitivité des cultures de substitution (lorsqu'il y en a). Il y a par ailleurs, en Amazonie colombienne, 650 millions d'hectares disponibles pour accueillir la culture de coca, fut-ce au prix d'un désastre écologique dont les paysans, dans leur infini dénuement, n'ont que faire. Mais il est vrai que d'autres acteurs se frottent déjà les mains. Car la coca se déplacera aussi vers le nord du pays - Urabá, Magdalena Medio, Atrato, Pacifique - régions que les paramilitaires ont " nettoyées " et qu'ils entendent bien mettre à profit pour ajouter la production à la transformation-exportation dans lesquels ils sont impliqués.

Nul ne prétendra ici (jusqu'à preuve du contraire) que, cyniquement, le Plan Colombie a pour objectif de permettre aux paramilitaires de s'assurer un contrôle total sur la filière coca-cocaïne. Mais nul ne fera non plus assaut de naïveté. Car il n'a échappé à personne que, menée à feu et à sang, désarticulant le mouvement social par le meurtre ou l'exil, l'avancée stratégique de ces derniers doit bien peu au hasard. Une fois vidées de leurs habitants, les terres stratégiques du point de vue économique et militaire se peuplent de nouvelles personnes favorables aux forces militaires ou paramilitaires ; il se crée ainsi des zones de sécurité dont ces forces ont besoin pour contrôler le terrain(Rapport de la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, 9 mars 1998). M. Castaño a ainsi établi son emprise sur les régions du Choco et d'Antioquia, dans l'Urabá, à la frontière du Panamá. Zone bananière, l'Urabá est également une zone d'exploitation pétrolière où agissent compagnies américaines et britanniques. Elle recèle d'importantes réserves de gaz et suit le tracé du projet de canal interocéanique qui pourrait doubler celui de Panamá. Dans l'est de l'Antioquia, ce sont de grands projets hydroélectriques et touristiques qui sont à la base des déplacements forcés de paysans. De son côté, l'offensive militaire planifiée par le Plan Colombie s'est donné pour priorité le Putumayo, région traversée par d'importants rios inclus dans un mégaprojet d'interconnection fluviale de l'Amérique du Sud.

La zone choisie présente un évident intérêt stratégique. D'autres projets d'exploitation (pétrolière) y existent et elle est frontalière avec l'Equateur, pays lui aussi producteur de pétrole. Elle est, qui plus est, la porte d'entrée de l'Amazonie et de sa biodiversité. Rien de tout cela n'est dû au hasard et l'on peut parler d'une seule et même politique tant ses différents acteurs - Etats-Unis, Etat colombien, paramilitaires, armée - paraissent s'être concertés dans sa mise en œuvre. Ainsi, la priorité à l'investissement étranger et en particulier pour l'industrie pétrolière a été l'une des exigences de l'amendement au Plan Colombie imposé par les sénateurs américains Dewine, Grassley et Coverdell. Dans sa section section 101.2, Allianza Act stipule : " Insister pour que le gouvernement colombien complète les réformes urgentes destinées à ouvrir complètement son économie à l'investissement et au commerce extérieur, particulièrement à l'industrie du pétrole (...) ". Et les secteurs économiques en redemandent. Vice-président de la Occidental Petroleum Company, M. Lawrence Meriage n'a-t-il pas estimé que le Plan Colombie devrait être plus " équilibré ", c'est-à-dire ne pas se concentrer sur le Putumayo mais aussi sur le nord du pays où la " Oxy " est prête à commencer ses opérations ?

Risques minimums pour les Etats-Unis

 

 

Paradoxalement, l'Allianza Act a semblé peiner à être votée par le Congrès des Etats-Unis. Bataille politique intérieure plus que désaccord.

 

Si la campagne électorale n'est pas étrangère à la volonté de M. Clinton d'enlever aux Républicains l'exclusivité du discours de fermeté sur le problème de la drogue, cette même campagne a fait que ses adversaires, malgré leur accord de fond, n'entendaient aucunement offrir une victoire politique au président en exercice. Moyennant quoi, il a fallu attendre juin 2000, pour que le Sénat donne le feu vert au Plan Colombie (signé le 13 juillet par le président) en le réduisant toutefois à 934 millions de dollars pour les années fiscales 2000 et 2001. La présence militaire américaine sur le territoire colombien s'est vue limitée à 250 hommes et 100 civils. Si tant est qu'elle persiste, cette réduction budgétaire affectera l'achat d'hélicoptères.

Au lieu des 30 modernes Black Hawk prévus, la Colombie n'en recevra que 16, plus 60 anciens appareils Huey reconditionnés (12). Quant à la limitation du nombre de conseillers américains en Colombie, elle ne peut impressionner que les gens particulièrement... impressionnables. D'anciens membres des Forces spéciales US, des " spécialistes " et des experts indépendants sont attendus en Colombie, sous contrat privé, pour assumer les tâches que les forces armées américaines ne peuvent ou ne veulent assurer. D'ores et déjà, DynCorp, qui a recruté d'anciens pilotes du Vietnam, assure la maintenance et l'appui nécessaire aux vols d'éradication de la coca (13). D'après M. Ed Syster, son porte-parole, la Military Professionals Resources Inc (MPRI) négocierait actuellement pour apporter un appui logistique et un entraînement à la police et aux forces colombiennes de contre-insurrection. Cette pratique porte un nom : l' " Outsourcing ". Avec cette privatisation de la guerre, les risques d'exposition directe de l'Oncle Sam - et ses conséquences politiques - sont éliminés.

 

 

La version du Plan Colombie présentée aux sénateurs américains met l'accent sur la menace que fait peser la Colombie sur les Etats-Unis. Celle diffusée en direction des opinions publiques américaine et colombienne fait l'impasse sur la dimension militaire (les pages 24 à 26 disparaissent). Celle enfin proposée à l'Union européenne (UE) insiste sur la défense des droits humains et supprime les références par trop explicites au renforcement militaire. L'UE est en effet censée " mettre au pot " (1 300 milliards de dollars) pour financer le volet " social " de ce plan de guerre.

 

En bons supplétifs des Etats-Unis, le britannique Tony Blair et l'Espagnol José Maria Aznar se sont prononcés pour ce financement. La Belgique, les pays scandinaves (et la Suisse, qui fait partie des " pays donateurs ") s'y sont montrés résolument opposés, la France semblant plus que réservée. Présentée comme un succès par Bogotá, la réunion tenue à Madrid le 7 juillet a approuvé un appui économique de 619 millions de dollars, en provenance des organismes financiers internationaux (Banque interaméricaine de développement, Banque mondiale, ONU, Corporation andine de développement) et du Japon. Mais, des 15 pays de l'UE, seule l'Espagne a mis la main à la poche et déboursé 100 millions de dollars. La France et l'Allemagne ont déclaré qu'elles ne le feraient que dans le cadre d'une décision commune de l'UE. Plut au Ciel que celle-ci rejette cette demande de cadeau empoisonné...

 

En proposant une solution militaire à un problème - les cultures illicites et le narcotrafic - qui, depuis des années, résiste à toutes les solutions militaires, le Plan Colombie - perçu comme une déclaration de guerre par les guérillas qui, en conséquence, mènent de très violentes actions militaires - ne peut qu'aggraver une situation déjà tragique. Il portera la guerre dans des secteurs qu'elle n'avait jusque-là jamais touchée. Les villes, en particulier

1 comentario

Eric -

el pueblo en exilio de origen tibetano que comenta y se implica con la causa; es bonbardeado de dificultades en la red mundial con virus y otros inconvenientes, no es extraño que todo tipo de oposition en otros paises sea bombardeada electronicamente, y por quien? en este caso?